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Game Audio Designer

Tout d’abord dédicace à m’sieur Remouk, qui m’a demandé ce qu’était mon boulot. Merci à toi et j’espère que cette réponse satisfera ta curiosité.

Le design, tout un programme. Peu importe ce que l’on met avant le mot designer, le métier consiste toujours à exécuter la même tâche:

"Le design consiste à créer des choses pour des clients qui peut-être, ne savent pas ce qu’ils veulent jusqu’à ce qu’ils voient ce que vous avez fait, alors ils savent exactement ce qu’ils veulent et ce n’est pas ce que vous avez fait."

(source: Pag on Games)

Le sound design. Ou audio design (ça permet d’éviter de prononcer sou-nedeu et de se faire mal comprendre) est une discipline qui remonte je pense aux premiers théâtres. Premières mises en scènes, premières utilisations de bruitages, té.

Plus tard avec le film, c’est au début des années 60s aux US que le titre de sound designer est utilisé dans l’industrie avec des films comme West Side Story (61) ou Bullit (68). Mais c’est durant les années 70s que le sound design s’émancipe largement du domaine de l’unique bruitage, du mixage et autres paramètres surtout techniques: L’exorciste, Les dents de la mer, Star fucking Wars, Apocalypse damn Now… La grosse artillerie qui définira en quelque sorte les canons de la discipline. A ce sujet j’avais écrit un truc il y a presque deux ans sur le design sonore, le sabre laser et le fait que la conception doit commencer tôt. Mais je vais y revenir.

Naan mais concrètement, ton métier ?

Je le vois comme pour le domaine du visuel, et tu vas voir qu’en suivant cet axe, le sound design c’est tout pareil que le graphic design. Avec les mêmes armes:

  • Uncompressed ? Bitmap => PCM
  • Magnify/Degrading tool for uncompressed ? Photoshop => Sound Forge
  • Scalable ? Vectoriel => MIDI
  • Magnify/Degrading tool for scalable ? Illustrator => Synthétiseurs
  • Capture ? Photographier => Sampler
  • Capture with time ? Filmer => Enregistrer
  • Pure creation ? Dessiner => Jouer (d’un instru et si possible pas du pipeau)
  • Making collages ? Monter => Mixer
  • Collages with time ? After Effects/Première =>  Séquenceur audio/midi
  • Multi dimension ? 3D => 5.1,/7.1

Suis-je le seul à avoir fait le lien ? Donc avec ces outils je crée la matière sonore pour subvenir aux besoins d’un jeu, que ce soit en terme d’ambiance, de sens, d’humeur, d’information afin de satisfaire, faire jouir même si possible le client final: le joueur. Vous quoi.

Justement tu dis souvent que le game audio design est différent de l’audio design classique ?

Oui, c’est le cas. Le designer, quelque soit sa spécialité est dans l’obligation de créer son design autour des contraintes et faiblesses de son médium. Dans le film et tout médiums linéaires à l’ancienne, zéro contrainte de bande passante mémoire ou de charge CPU. Pour les nouveaux médiums numériques, c’est tout le contraire, prix à payer pour arriver à un autre stade, je dirais plus avancé de la création: créer quelque chose de vivant, un jeu, une application interactive. Un truc de dingue.

Mais c’est chiant la contrainte ! Et puis avec le temps elle disparait alors pourquoi s’y faire ?

Parce que la contrainte est toujours là, même si aujourd’hui elle est différente de celle de l’époque des 8 ou 16bits (online par exemple). Parce que la contrainte amène à une esthétique qui se focalise sur ce qui est important et j’adore ça. Parce que cela amène à faire beaucoup d’essais et que c’est comme cela qu’on arrive à faire les meilleures choses, les plus inattendues. Mais ceci s’applique également de manière générale je pense: la naissance du son du sabre laser nous le montre (simple mixage de sons de machines, pas de synthétiseurs ou autres outils complexes, des micros et des bruits irl pour créer un des FXs si ce n’est pas LE FX audio).


Bienvenue à bord, please fasten your seatbelt for the Chocolate Audio Milky Way…

Alors voilà tu es designer sur un projet, par quoi tu commences ?

En général, comprendre l’architecture du projet afin de dégager rapidement ce que je peux faire de ce que je ne peux pas. Donc discussion avec le lead coder. Ensuite je vais voir le game designer et le directeur artistique, je prends note des différents gameplay et d’un maximum de données (schémas, documents, vidéos, builds pre alpha huhu). Après c’est excel party, je transmets ma liste en terme de volume pour le producer, on discute des priorités et c’est parti pour la créa.

T’utilises quoi comme matière de base ?

Comme les grapheux ;)

Google image ?

Erf, non enregistrements faits maison, CDs, synthétiseurs etc… Le tout retravaillé à ma sauce.

Et après ça se colle comment dans un jeu ?

C’est à dire qu’en fait… C’est un peu différent à chaque architecture de projet. Mais techniquement c’est à peu près toujours la même chose, pour le game audio d’aujourd’hui: un gros fichier contenant les banques de sons triées (par niveaux, par actions…) et les paramètres d’exécution (un bête fichier xml indiquant les variables d’environnement) et un fichier contenant le détail en HEX des fichiers audios (wav, ogg blabla). Et bien sur, les wavs. Tout cela est fait avec des outils style fmod (LE moteur audio).

Ah ouais ça change du film et de la télé en terme d’intégration…

Oui, c’est pour ça que les designers sonores classiques n’aiment pas le jeu: il faut apprendre de nouvelles choses, avec des bouts de codes dedans et pour dire la vérité les techniciens du son et les musiciens/artistes -les deux mamelles de la discipline du sound design- sont souvent des grosses bites en informatique… En plus ce sont souvent des gens avec "haute estime de soi" (cinémoaaa)… Alors mettre les mains dans le cambouis informatique n’est même pas envisageable ni envisagé. C’est un truc de péon ça.

Sérieux ?

Pas pour rien si la plupart sont sur des macs et ont découvert la création de site avec MySpace… La culture sonore vient du monde de l’analogique, du "sans compromis" des choses très éloignées du monde des 0 et des 1 et de leurs erreurs. Quand j’étais en BTS audiovisuel au début du siècle, les profs étaient vexés par la monstrueuse efficacité du Protools, n’arrêtaient pas de gerber sur le numérique et son approximation et beaucoup de mes cours étaient totalement basés sur la bande magnétique. Je ne regrette pas parce que ça m’a donné une vision numérique différente mais jamais je n’ai pensé une seule seconde que j’allais travailler avec des bouts de scotch et une paire de ciseaux pour faire mes montages plus tard… Ni sur DaiDaiQuinzeCents.
 


Une fois vu ça, j’ai tout de suite oublié le hardware audio…

Combien de personne durant tes études sonores envisageaient de travailler dans l’industrie du jeu et de l’interactivité ?

Personne à part moi.

Quid des musiciens de la demoscene ?

C’est vrai que les gars sont étonnamment peu nombreux dans l’industrie. Ce sont souvent des hippies qui pensent beaucoup de mal du capitalimse ça fonctionne moyen niveau atome crochu avec le développement de jeux. Et puis c’est un genre en soi la musique de démoscene, ça ne marche pas tout le temps.

Alors quoi, un game audio designer doit savoir coder scripter ou bien ?

Ben dans l’idéal oui, et puis avoir du bagage informatique, comprendre les entrailles numériques un minimum. Dans la pratique comme la liste plus haut le montre, il y a déjà un paquet de casquettes à porter et celle de coder est vraiment pas évidente. Mais plus le médium grandit et plus cela fait parti de l’évidence… Pareil pour les grapheux ceci dit.

Pourquoi ?

Parce qu’aujourd’hui on vit sur un malentendu dans l’industrie: on considère le sound designer comme un créateur de contenu, or ça, c’est son rôle dans un médium linéaire. Tout comme son homologue visuel, le designer sonore apporte du feedback au joueur, de l’input et de l’output. Lors du brainstorming d’un game design, je crois que tout les designers principaux (Audio, Visual, Code, Gameplay) doivent se prendre le choux ensemble pour affiner le système de jeu et créer les connections, les meilleures possibles entre les différents atouts de la représentation AudioVisuelle et la Mécanique de Jeu, selon l’Architecture Software. C’est ça l’équation. Aujourd’hui à ma connaissance en France, personne ne fait ça. Même à l’échelle monde je suis pas sur. Disons que c’est encore rare alors que cela devrait être le comportement par défaut des studios.
 


Pourquoi je travaille beaucoup sur DS ? Parce que.

Quel intérêt ?

Cohérence du projet décuplée, pipeline de prod sans zones obscures, pas d’effet "j’ai un proto à l’infini" (c’est un peu ce qu’il se passe quand les éléments arrivent les uns derrière les autres) et bien sur le crunch time est réduit, moins de collisions intra projet entre des corps de métiers qui ne se parlent pas ou presque, même en plein rush (oui oui j’ai vu, les gros studios la hiérarchie toussa).

Moi mon intérêt c’est qu’au lieu de courir à faire le volume dans un temps très court, je peux me focaliser sur la qualité. Le son c’est pas spécialement difficile, c’est long. Il faut du temps. Beaucoup d’itération, réécouter et réécouter, dans différents moods, jours matins, soirs pour voir… L’audio n’a aucune évidence, on a tellement l’habitude de fermer nos oreilles dans nos villes surpolluées de bruits.

Pour les joueurs, je pense simplement que ça peut changer dramatiquement l’expérience de jeu. De la vraie nesquegêne mon pote. Car comme le dit le Petit Prince (merci Ladie’s Room pour le mémo): L’essentiel est invisible pour les yeux.

Ca à l’air fun tout ça mais bien complexe quand même… Pour les contrats comment ça se passe ?

C’est un sacré point noir du métier. Comme déjà la discipline est négligée d’entrée par les développeurs c’est pas évident. Deuxièmement le métier de sound designer n’existe pas en législation française. Troisièmement entre les studios qui préfèrent des CDDs, d’autres qui veulent du contrat d’indépendant, d’autres des contrats d’intermittent ne serait ce que faire un projet de A à Z est très difficile. Quatrièmement, le droit français sur les auteurs est extrèmement féroce, tout ce que je crée m’appartient si une boite américaine me paye une fortune pour un design et une bande son, que je leur cède mes droits par contrat, supposons qu’ils fassent des recettes énormes avec le film tiré du jeu et dans lequel on entend mes créations: si je les attaque pour toucher ma part (alors que contractuellement j’ai juste à fermer ma bouche), je gagne en France. Autant dire que les producteurs ne sont plus très chauds pour employer du Frenchy.
 

 
Même pas de quoi m’acheter un t shirt.

Ah ouais… Ca calme.

C’est pour ça que je cours après une simplification et réadaptation du code du travail et de la propriété intellectuelle à la vie en 2008 et plus, tiens. Pour le travail c’est au niveau français, et pour l’IP c’est au niveau de l’Europe. On va voir…

Mouais… Supposons que ces réformes arrivent, c’est toujours pas la fête du slip avec les développeurs qui boudent l’audio.

Oui mais ce que j’adore dans le jeu c’est cette caractéristique qui vient de l’informatique et du software: l’élasticité. Je rappelle que personne ne croyait en la Wii. Facebook était inconnu il y a un an en France. Qui l’eu cru à ce point pour WoW ? Il n’est pas du tout impossible que le rééquilibrage des budgets en faveur de l’audio se fasse en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Tiens regarde Katamari Damacy: 10 personnes pour faire tout le graphisme. Dans les crédits il y a 8 sound designers ! Sans compter les voix offs et les musiciens… Si KD est si unique, c’est pour son gameplay et s’il est aussi original et légendaire, c’est grâce à sa bande son extrèmement chiadée mixée à un graphisme ultra simple. L’inverse de tout les autres jeux en gros. Bingo. L’industrie du jeu est conservatrice mais son modèle actuel comme pour l’industrie de la musique, est en train de crever la bouche ouverte avec des filets de bave sur la nappe. L’industrie le sent. Il va falloir trouver des solutions.


Music or Game industry, same shit.

Tu paries sur le futur ?

Bé, un peu comme tout le monde non ? Pour le moment je m’en sors et je fais ce qu’il me plait on va quand même pas se plaindre…

Salaires ?

Irréguliers ? De 1000 à 3000 euros en ce moment… Mais le plafond pour ce métier n’existe pas (non je ne me rêve pas non plus beatmaker un peu pourri négociant l’instrumentale à 200 000€), c’est le bon point. Par contre il ne faut pas avoir peur de cotoyer les assedics régulièrement, ni de chercher du taf tout le temps, ni de se former constamment (musique, informatique, tendances) ou de se ruiner en matériel audio hors de prix: en sept ans j’ai toujours pas bouclé mon home studio. Il faut également supporter les sons d’une demi seconde ou moins en boucle pendant des jours. Et puis il y a ce truc propre à la composition: on deviens l’esclave du son, 24/24 ou presque ça tourne dans la tête. Parfois c’est vraiment éprouvant.

Ouais bah t’as choisi hein maintenant t’assumes.

Mais j’assume mon choix de vie et j’agis sur les points qui me gênent. Ca serait bien que tout le monde fasse pareil sans punir ou pénaliser les autres. *tousse et rigole*

Des collègues ?

Nan.

Comment ça non ? T’as bien des confrères ?

Oui mais on ne se parle pas. Le sound designer travaille très souvent seul, c’est l’isolation dont ont besoin les oreilles qui pousse le comportement d’ours. Mais sinon c’est vrai que bizarrement, tout les contacts que j’ai eu avec des game audio designers ont été plutôt foireux… Je ne l’explique pas. Tant pis.

Ca doit pas aider à rendre la profession plus connue.

Ca c’est sur qu’à côté de grosses fiestas de graphistes dans lesquelles je me suis infiltré…

T’aime bien le graphisme.

Ouais j’adore, mais surtout dans un but didactique: mieux le comprendre pour mieux fonctionner avec lui. Et puis ça m’inspire beaucoup.


Je… Euh. J’arrive.

Non plus sérieusement des trucs comme ça m’inspirent beaucoup:


Personnage du générique du festival d’Annecy 2006, via et visualisable chez Winny, grapheux de talent.

Les graphistes sont les artistes dans l’industrie du jeu. Toi t’es quoi ?

"Le gars du son". Tout est dit. Putain de monde dirigé par l’image (PICS, PICS) monde qui n’écoute et ne s’écoute pas, monde de chiesamèregniii.

Et les programmeurs, comment ça se passe ?

Bien, j’ai un bon côté nerdy donc aucun problème. Par contre eux n’ont pas trop le côté funky. Et ça c’est con parce que les programmeurs sont ceux qui touchent à tout les paramètres du jeu, et par moment ça serait bien qu’ils aient une vision artistique…

Exemple ?

L’exemple -enfin plutôt le tue l’amour- pour le designer audio, c’est quand le programmeur normalize tout les sons à 0 dB. Ce serait comme de stretcher des photos. Voilà comment résoudre un problème techniquement, au lieu de faire ça esthétiquement. Le jeu c’est les deux, pas l’un après l’autre, les deux en même temps et tout le temps.

T’es grave.

C’est un secteur à part, et les gens voudraient pouvoir y entrer et en sortir sans qualification propre au domaine. Où on utilise uniquement des gens tout neufs (oui vous les stagiaires). La conséquence est qu’on perpétue les erreurs et qu’on réinvente la roue à chaque projet. Heureusement que le marché continue de s’étendre sinon ça serait encore un trip confidentiel le gaming. En fait je crois que c’est à cause de cette expansion sans fin que l’industrie n’arrive pas à chopper de standards de prod. Alors elle regarde le cinéma et bave.

Sauf que c’est différent.

Voilà. C’est putain de linéaire quoi. Au final, rien à voir avec les jeux. C’est pour ça que je travaille pas pour les autres médiums. Game audio designer forevaaarr.

Oki. Je crois que je vois mieux ce que tu branles de tes journées.

Yep, je travaille chez moi. Chuis devant un écran, je clique, je pianote comme tant…

Ouais, ça fait pas rêver là. Des projets ?

Pas mal. Quelques game designs en tête et quelques projets qui arrivent…

Des envies ?

Pleins. Déjà j’aimerais quitter un peu les prods sur un mois et demi à trois mois et passer à des projets à plus long terme, typiquement MMO. J’aimerais bosser sur des projets chez Metaplace comme chez Valve. M’affranchir des machines au maximum, surtout de leurs constructeurs en fait. Mettre en pratique toutes mes idées d’audio design et de jeux, mais ça va être long… Aussi j’aimerais bien jouer live à la GDC. ARE U READY BABY et *sbam* la basse dans ta face.

Haha. Tiens d’ailleurs c’est l’heure de la répèt’.

HIII HAAA


"Ouh Pinaise !" (je sais que vous avez une voix dans la tête; celle d’un mec dont le nom commence par un H)

3 replies on “Game Audio Designer”

Salut Harold en lisant ta critique de AMER BETON hé bah je l’ai tout simplement acheté en édition collector sur mon site asiatique préféré!

Dis moi ya un manga que tu kiffes ou le mec a un sccoter et une basse dans le dos c’est quoi le titre?

Rom1: ça s’appelle FLCL ou FuriKuri. C’est en six volumes et c’est obligatoire. Mind Game aussi est obligatoire.

Remouk: Merci :)

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