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Contrats d’esclaves

Il y a un an, je signais le contrat français le plus recherché de tous les temps, le fameux cd-aille.

Aïe, exactement.

Premier constat: en dehors de deux trois cas particuliers, les potes de mon âge qui travaillent et qui sont indépendants vis à vis de leurs parents, proprios ou en passe de l’être etc, travaillent tous pour le public. Sauf les codeurs. Et encore.

La dualité cdd/cdi date des années 70. Depuis, le cdd n’a fait que être renforcé et de plus en plus utilisé au fur et à mesure que les règles du licenciement devenaient de plus en plus strictes.

Là est tout le paradoxe (là où on préfère se coller la tête dans le sable); pour faire en sorte que tout le monde soit sur un pied d’égalité au niveau du marché du travail, il faudrait simplement que le licenciement soit moins stricte. De plus le cdd touche particulièrement le secteur des services et de la connaissance vous savez, les seuls encore d’avenir (je vous conseille vraiment fortement ce bouquin, dispo en français) ou disons encore en expansion.

Effectivement la France traine des pieds dans ces domaines l’emploi est très précaire, là où des pays moins rigides à ce niveau tirent leur épingle du jeu.

Alors bon mon contrat n’a pas fonctionné, j’ai fait deux fois 3 mois de période d’essai pour m’entendre dire que finalement non. Je crois que toute mon âme voulait que ce soit le cas. Sorte de dégoût et de soulagement à la fois, bizarre.

Quand j’ai signé ce contrat, j’ai eu cet espèce d’impression de me sentir soudain en sécurité tout en ayant la sensation que je venais aussi d’enclencher la putréfaction de mon être. Comme si j’étais au chaud chez moi avec un zombie rodant entre ma chambre et mes toilettes. Can’t end well.

Mais j’ai laissé aller. Concentré sur ma tâche de faire un bon boulot, de rendre le logiciel vivant j’ai pour le reste tout laissé trainer: le soir je rentrais, junk food séries films et surtout pas d’action, plus d’efforts pour jouer de la basse tout le temps avachi etc. Il est vrai que les transports en commun, le traintrain quotidien usent et c’est là où tu te dis à chaque fois “ouais mais je m’en fous chuis en cd-IIIII \o/”. Bonjour la motivation de grand-père.

Je me souviens d’un truc horrible quand j’étais dans ce cas là: la discussion avec ceux qui ne le sont pas. Et qui t’envient, ne serait-ce que l’espace d’un regard de la part de ton interlocuteur, d’un coup tout vide. Assez terrifiant. Plus la presque impossibilité de ne pas être FIER d’être en contrat indéterminé… Moi ça me mettait super mal à l’aise. J’ai pas vraiment aimé ça, de faire un job qui me plait comme elle ou lui, de bosser comme elle ou lui de la même manière mais d’avoir tous les avantages et pas eux.


C’est bien mais tu peux toujours pas te loger. Ohlescons. 

Le cdd je ne lui en veux pas spécialement, j’ai pas mal gagné ma vie avec en 9 ans de taf. Je me rappelle que l’intérim quand j’étais étudiant c’était pareil, ça pouvait permettre de gagner pas mal de blé. Le manutentionnaire avec qui je travaillais se faisait ses 2 000 euros net via contrats chez Adecco.

Sauf que tu peux toujours pas bouger de chez tes parents vu que ces contrats sont nuls et non avenus devant un proprio. Ce qui est totalement dégueulasse vu que les cdi se sont largement rarifiés en trente ans que ces contrats existent mais que le besoin d’être logé lui, n’a pas bougé.

L’argent rentrant n’a pas d’importance, place au statut. Place à la pyramide du motherfuckin’ system. Place aux coups de pute et autres passe-droits.

Pour accéder à une situation stable dans une petite case de la pyramide en France c’est simple: il faut un cdi ou être en couple avec quelqu’un qui en a un (et en général les femmes vous êtes abonnées au temps partiel) ou travailler dans le public ou être en couple avec quelqu’un qui l’est. Celui qui a le poste de la sécurité “se fait chier” pendant que l’autre en situation plus précaire “s’éclate”.

Sérieux les stats autour de moi sont ultra flippantes à ce niveau c’est quasi du 100%. En province c’est 110% même. Du coup je vois des gens qui sont ensembles pour la raison principale de pouvoir vivre dans autre chose qu’un studio, pas spécialement parce qu’ils s’entendent bien ou qu’ils partagent véritablement quelques valeurs (naturellement, ça ne se dit pas ça). Les conséquences sont lentes et profondes. Les femmes seraient les premières à profiter de plus d’égalité, sans doute que beaucoup d’affaires se termineraient beaucoup plus vite sans dépendance financière -et de statut- envers l’autre etc.

Les générations précédentes nous ont dit “mais faites des études longues et vous serez sauvé”. My FUCKING ASS. Des milliers de bac +4 et plus se sont retrouvés bien niqués par les conneries des vioques.

Le système est pourri cherchez pas, études ou pas ça ne change rien. Il y a une énorme inégalité entre le cdi et les autres, point. Et ça moufte pas hein, on entend personne là-dessus. Le président voulait tuer la dualité indécente du contrat de travail français, tout le monde lui a dit de la fermer (alors que perso, j’aurais voulu l’entendre et le voir faire qqchose uniquement là-dessus). Il doit y avoir des intérêts cachés, genre la force du public qui à coup sur faiblirait si le contrat de travail du privé était sympa et bon joueur. Bref.

Le problème c’est qu’en trente ans de cette merde, les gens sont devenus dingues. Mes parents, génération “le chô quoi ?” pour eux le fait que je signe un cdi c’était la consécration.

 
Et les tickets restaus et la mutuelle et la clé pour les cafés pas chers..

On a descendu plusieurs bouteilles de champ’ entre la signature, la première période d’essai et la deuxième. Ils étaient trop jouasses, quand bien même je leur disais que la boite était pas très carré et que ça présageait des difficultés à venir. C-D-I osef !

Le problème c’est que le fait que je ne l’ai pas, que je m’en sorte autrement, plus indépendamment, ça leur en bouge une sans toucher l’autre alors que c’est maintenant que j’aurais besoin de cheering you know. Ils restent sur la déception du “ok, cruise control” raté. Il n’ y a pas de cruise control dans la vie. Pas pour ma génération,  mais ça ça leur passe au dessus de la tête.

Pour nous les jeunes actifs, ce cdi c’est devenu le piège de la mort qui tue: une fois que tu l’as, tu ne bouges plus vu tout ce qu’il t’apporte. Même si la boite te sous-paye, même si tu galères ta race dans les transports en commun, même si ton boulot te fait vomir parce que tu pourrais faire des trucs bien mieux. C-D-I mec !!

Et ça, c’est pour moi le pire de tout, le gâchis social, voir des gens talentueux baisser la tête et pourrir de la sorte à la cafette en mode COGIP, “impossibles à licencier” par la boite non plus. Statu quo le plus inefficace possible qui plombe le pays. Mais chuuut.

Une horrible culture s’est imposée: profite et branle un minimum.

Ce qui me fait halluciner c’est que personne n’est heureux plus de 3-4 ans à un même poste. D’après ce que je vois c’est déjà un extrème. Alors à quoi bon le côté “écrou en titane” du contrat ? Dans mon secteur ultra compétitif, ultra hardcore en terme de marché, cette sclérose et cette raideur ne sont pas envisageables. J’ai mis du temps à le comprendre.

C’est même plus le contrat en lui même le problème aujourd’hui je pense, c’est l’attitude générée qui fait que les boites feront tou
t ce qu’elles peuvent pour ne pas embaucher avec. La COGIP zombifiée au secours. Pas entre trentenaires de l’industrie du logiciel c’est pas possible. Ben si, chez quelques rares boites du secteur à embaucher avec ce statut c’est ça. Ca m’a fait flipper moi qui sortait de la jungle. Merde des gens qui ne s’intéressent même plus au domaine et qui comptent les jours voir les heures comment dire, ouaaaaa. En fait tous les cdis dans mon milieu se sont tous transformés en quelque chose de moisi qui pourri à plus ou moins vive allure selon le caractère de la personne. Vous aussi ? Fear mon gars, fear.

Les compétences se rouillent, les idées ne fusent plus.. C’est la paupérisation de l’esprit quoi. Dans le domaine du computer game (R&D + innovation) il est n’est pas possible de se le permettre. Sauf dans quelques boites aux poches bien remplies et qui se vident à vitesse grand V en temps de crise (cf les 40 milliards de fermetures de studios de dev et les licenciements qui vont avec mais au moins aux US ils peuvent retrouver du taf ou créer de l’activité plus rapidement).

Alors je sais, de l’autre côté il y a un autre système qui aimerait bien qu’il y ai qu’un seul contrat de travail: les banques, comme ça elles nous fourniraient des crédits à gogo et nous feraient payer des agios de oufs comme aux US avec tout ce que ça leur profite, et tout ce que ça nous coûte.

Il y a sans doute un équilibre à trouver. Vite avant que toutes les personnes qui souhaitent faire des choses se barrent ailleurs. Oh merde l’exode a déjà commencé. Et ça me titille parfois.

Depuis l’année dernière je n’ai jamais autant pesé le pour du contre. Et ça me fait chier.

2 replies on “Contrats d’esclaves”

Je crois que je rêve d’être en freelance… depuis le moment où j’ai signé mon CDI :)

J’attends d’avoir fini mon job sur le projet pour mettre les voiles, en attendant je serre les fesses et je cravache (d’ici deux mois on y crois). Et le sentiment de pourrissement confortable de l’Être dont tu parles y est pour beaucoup.

Cheers boy, en ce qui me concerne je t’envie grave ! Go on !

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